Musée de l’érotisme - Caroline Langer
Anne van der LindenMusée de l’érotisme jusqu’au 31 mars
Journées portes ouvertes de Saint-Denis le WE du 17/18 mai
« Je suis comme tout le monde : je mange, je prends le métro, je chie. Pour sortir de cette banalité, je peins. » C’est l’une des premières choses que m’a dite Anne van der Linden avec cette sérénité totale qui semble la caractériser. Aucune revendication ni agression dans son discours : la peinture, c’est son petit frisson à elle. Elle a décidé d’y consacrer sa vie, c’est comme ça, et c’est bien.
C’est en tous cas un sacré frisson pour nous. On se retrouve dans un imaginaire proche d’un Otto Dix, Rudolf Schlichter : comme ces artistes du courant allemand de la Nouvelle Objectivité, la peinture d’Anne van der Linden est issue d’un réalisme expressionniste aux couleurs tranchées, aux traits simplifiés, privilégiant une fluidité et un impact immédiat pour le spectateur. Impossible de rester impassible face aux personnages tronqués, enchevêtrés dont les chairs se mêlent, se multiplient ou se liquéfient, dans une mise en scène digne de nos cauchemars les plus fous ou les plus lubriques. Violence, domination, tensions sexuelles sont les thèmes récurrents de cette peinture dérangeante.
Il y a dans son travail l’urgence de dire ses rapports au monde et à l’autre, l’urgence de les décortiquer à l’infini pour en faire ressortir ce qu’ils génèrent de plus profond, de plus sincère et parfois de plus vil. Prêtant son propre corps au monde, Anne van der Linden nous offre ce puissant spectacle de l’être individuel en proie à une altérité indésirée, immergé dans une société dont il est à la fois l’acteur et le public. Ses tableaux et dessins illustrent cet extraordinaire empiètement du dedans et du dehors, sont « le dedans du dehors et le dehors du dedans » pour reprendre la formule de Merleau-Ponty*. A force de subir le monde et cette communauté imposée que forme la société, des rapports se créent, inhumains, artificiels et fumeux. On est ici au cœur des malentendus, à la frontière des exigences, de la réalité et d’une volonté qui tiraillent toutes en sens contraire. Peter Sloterdijk a relevé l’un de ces paradoxes : « nous formons une communauté avec ceux avec qui nous n’avons rien de commun. »*
Mais chacun est libre de conclure ce qu’il souhaite : encore une fois, pas de volonté de critique de la part d’Anne van der Linden : juste constater, ressentir. C’est un jeune garçon accroupi, léchant l’anus d’une chèvre, ou bien ce petit enfant forcé à manger un gâteau d’anniversaire qui n’est autre qu’un énorme tas de merde dans lequel sont plantées, dégoulinantes, d’affreuses bougies.
Phallus, excréments, corps déformés, défigurés, meurtres…Ce qui fait dire à certains, non sans humour, qu’Anne ne fait que des bites. Elle répond simplement que c’est son truc. Cela dit, depuis quelques temps, les sujets évoluent vers des violences plus meurtrières, plus sadiques (un tir à bout portant sur des bébés monstrueux et volants, par exemple, tout à fait efficace).
Jamais de vulgarité pourtant tant les images sont pertinentes. On y retrouve les miroirs de notre enfance, pensées interdites, fantasmes enfouis. Anne veut « y mettre le paquet », et c’est parfaitement réussi.
Chaque fois repousser les limites de notre censure intérieure, chaque fois, finalement, faire face à nos contradictions de pensant pensé, de voyant vu. Ce n’est pas un hasard si la psychanalyse s’intéresse au travail d’Anne. Tout le monde s’y retrouve. Les drames tragi-comiques qui s’y déroulent s’opèrent dans notre théâtre intérieur.
L’image, une fois passé le choc, vient sournoisement se dissoudre à l’intérieur de chacun pour lui raconter sa petite histoire personnelle et subjective… C’est le double effet Anne van der Linden ! Parfois très surprenant…
Deux toiles sont exposées au Musée de l’Erotisme à Paris, à l’occasion d’une exposition collective regroupant photographes, peintres, sculpteurs autour de travaux liés indubitablement à l’érotisme. Quelques pointes d’humour et des installations astucieuses rendent moins pesantes les visites dans ce haut lieu touristique.
Les journées portes ouvertes de Saint Denis seront le prétexte pour aller rendre directement visite à Anne dans son atelier du bord de Seine, les 17 et 18 mai prochain. Immergées dans son lieu de travail, les toiles se font encore plus loquaces pour notre grand bonheur.
Caroline Langer
* Merleau-Ponty, « l’œil et l’Esprit », Folio essais
* Peter Sloterdijk, « Dans le même bateau », Rivages