Le Monde libertaire 2008 - Sophie Diaz

- Prenez une peinture médiévale. Vous savez, ces grandes toiles de scènes de combat avec des
guerriers au visage impassible ou ces images pieuses de madones imperturbables.
- Passez-en une au mixeur, quitte à vous blesser avec les échardes du bois.
- Prenez un homme. Tranchez-lui le pénis non sans l'avoir préalablement fait éjaculer et uriner sur les débris de la peinture. Ajoutez son sperme, son urine et son sexe dans le mixeur, puis touillez avec un pinceau.
- Prenez une femme qui a ses règles. Incorporez son sang menstruel et sa cyprine au mélange. Profitez de son état particulièrement émotif dû au cycle naturel pour la faire pleurer. Recueillez ses larmes et rajoutez-les à votre mixture.
- Prenez une seconde femme, une guerrière ou une amazone cette fois-ci. Elle doit avoir un visagenoble et impérial, une carrure imposante tout en demeurant féminine, avec des jambes musclées comme celles des égéries encrées de Robert Crumb. Rasez-lui les jambes et saupoudrez votre mélange de ses poils.
- Prenez maintenant la pomme donnée à Blanche-Neige par sa marâtre la sorcière. Coupez-la délicatement à l'aide d'une hâche et ajoutez les morceaux aux ingrédients précédents.
- Passez le tout au mixeur.
- Etalez la mixture sur une toile immaculée avec un rouleau à pâtisserie. Fignolez avec un pinceau.

C'est prêt.

Ainsi se crée une toile d'Anne van der Linden. Mélange savoureux et coloré de sexualité débridée, de vagins béants et de pénis tentaculaires, de mythologie et contes de fées, de sang et de douleur (forcément, si vous avez mal mixé le tableau médiéval lors de la préparation de la recette, les échardes peuvent causer quelque dommage à l'estomac... ).
Ses éjaculations à la peinture à l'huile ou à l'encre de chine nous plongent dans un univers à la fois cauchemardesque et réel, merveilleux et horrible, pornographique et sentimental, irréel et familier. Avec elle, le repassage et la lessive deviennent des tortures moyen-âgeuses, les goûters d'anniversaire scatophiles, les repas de famille cannibales. Une jeune fille se branle dans sa chambre devant les regards morts de ses amants décapités. D'autres, coquettes, se recoiffent amicalement leur barbe soyeuse. Un couple de cadavres part se coucher. Une amoureuse pose sa tête sur les intestins à vif de son amant mort. La vie quotidienne de ses personnages n'est nullement troublée par les interventions surréalistes de démons hermaphrodites ou d'instruments de torture délirants et ils conservent - quelque soit le degré d'horreur de la situation – un visage serein de Vierge de gravure médiévale.

Dans son livre « La Caverne Sentimentale », Jean Rouzaud reproche à Anne van der Linden de se cantonner à la représentation de sexes torturés et d'organes déchiquetés. Mais il concède rapidement que c'est justement cet univers « dégueulasse », «rempli de bites » et que « personne n'a envie devoir » qui fait toute sa spécificité, sapuissance... et sa beauté.